Atasi blog s'est refait une jeunesse, découvrez inde-en-livres.fr
6 Décembre 2015
Au cours des mois qui suivirent cette soirée, je devais apprendre à connaître toutes ses humeurs et toutes ses attitudes, la voir dans toutes les tenues possibles et imaginables et à toutes les heures du jour ; lesquelles resteraient gravées à jamais dans mon esprit envoûté. Mais cette image d'elle, assise très droite sur le tapis de jute, pinçant d'un air distrait les cordes du tampura, son visage lisse et parfait baigné de la lumière dorée répandue en flammes dansantes des diyas, qui m'est restée avec le plus de netteté et qui, dans mon souvenir, illumine encore aujourd'hui cette soirée de rayonnement.
Une Terrasse sur le Gange
De Pankaj Mishra
Titre original : The Romantics
Traduit de l'anglais par Jean Demanuelli
Ouvrage traduit avec le concours du Centre national du livre
Editions Calmann-Lévy - Date de parution : 5 février 2003 - ISBN : 978-2702133514 - 295 pages - Prix éditeur : 18,25 €
C'est lors d'un hiver rigoureux de 1989, que Samar arrive à Bénarès, la ville sainte entre toutes. Il est scolarisé à l'Université d'Allahabad, une université passée à une époque pour l'Oxford de l'Orient. Mais depuis l'Indépendance, elle a perdu de sa splendeur pour donner place à des conflits permanents où les affrontements ne sont pas toujours exempts de violences.
À peine arrivé à Bénarès, la chance lui sourit, on lui propose une chambre certes minuscule sur le toit d'une maison vétuste, mais qui offre un emplacement rare dans la ville, au bord du Gange. Samar a toujours vécu comme un solitaire et vit une période difficile à l'aube de l'âge adulte. Il n'a pas grandi auprès de ses parents car il a toujours été en pension et aujourd'hui sa mère est décédée et son père s'est retiré dans un ashram à Pondichéry. Son refuge a toujours été les livres. À Bénarès, Samar passe son temps entre lire sur son lit et aller à la bibliothèque de l'université de Bénarès qui se trouve à quatre kilomètres de son lieu de résidence.
Mais sa vive à Bénarès sera différente de celle d'Allahabad grâce à sa voisine de chambrée. Miss West, une anglaise d'âge mûre, installée depuis de nombreuses années en Inde, lui fera découvrir un nouveau monde. Avec elle, Il fréquentera ces occidentaux venus en Inde et à Bénarès à la recherche de mysticisme, de spiritualité et d'exotisme. Mais Samar sera surtout hypnotisé par Catherine, une jeune française venue de France.
Mes rencontres avec les autres amis de Catherine ne connurent pas davantage de succès. Une fois franchie la barrière de la langue (...), nos conversations s'enlisaient dans les préjugés et l'artifice. Ces gens étaient incapables de voir l'Inde autrement que comme un foyer plus ou moins pittoresque d'analphabétisme, de pauvreté et de fanatisme religieux : au retour de leurs excursions de Bénarès, ils parlaient avec animation de sadhus debout sur une seule jambe depuis dix ans, d'enfants estropiés mendiant dans les rues et les énormes rats qu'on voyait courir jusqu'à dans la moindre ruelle.
En dehors de celles de ma famille, je ne connaissais aucune femme. Ce que je savais de l'amour, cette composante la moins réglée mais la plus naturelle de l'existence, était purement livresque, et je suivais l'exemple des gens de mon milieu et de ma culture quand je le soupçonnais précisément de n'être point naturel. Dans l'univers qui avait été le mien, l'amour romantique était méprisé, considéré comme une sorte de dérangement des sens susceptible d'affecter brièvement des jeunes gens insuffisamment cultivés et "brahmanisés" pour les laisser aussitôt après meurtris et sans illusion.
J'avais été attiré par le prestige du nom de l'auteur en même temps que par celui de la collection, Penguin Classics. Mais j'étais passé à côté du roman, comme de tant d'autres ouvrages à l'époque ; je l'avais trouvé terne et trop long. J'avais malgré tout persévéré jusqu'au bout, mais avec l'obstination du coureur de marathon qui veut à tout prix terminer l'épreuve alors qu'il est vidé depuis longtemps de toute énergie.
Le monde est maya, illusion : c'est là une des premièrse choses que mon père m'ait jamais dites. Si, pour un enfant, cette idée est dénudée de sens, les épreuves de l'âge adulte ne font rien pour lui en donner. Déceptions et désirs ne cessent de vous assaillir, vous découvrez constamment de nouvelles manières de vires bonheurs et chagrins, cependant que l'idée d'illusion, jamais tou à fait comprise, finit par se dissiper.
Le monde dans lequel vous vivez devient alors la réalité suprême, ce monde dans lequel il vous faut continuer à vivre, que vous surmontiez ou non vos chagrins personnels.