30 Septembre 2018
La ville de Madrid est une ville sans travail. La ville de Madrid est une ville de portes qui se ferment et d'immeubles qui s'éteignent. Arrive toujours le moment où on arrête de chercher du travail et où on se met sous un carton.
Je suis la frontière
De David Llorente
Titre original : Madrid:frontera
Traduit de l'espagnol par Anne-Carole Grillot
Éditions 11-13 éditions - Parution : septembre 2018 - ISBN : 979-1091004374 - 260 pages - Prix éditeur : 21,90 €
Prix Dashiell Hammett Espagne (2017)
Madrid, avec la crise, sombre toujours plus dans le chaos. Même sa mer est devenue aussi noire que l'encre.
À Madrid, de nombreux habitants se sont subitement retrouvés sans emploi. Ceux qui ont contracté des prêts se sont fait expulser manu militaris de leur domicile. Ils se retrouvent à vivre dans la rue, à devenir des mange-ordures et à dormir avec un bout de carton. S'ils sont malades, ils ne peuvent plus aller dans les hôpitaux de la ville mais doivent trouver un hôpital clandestin.
Les animaux ont fui la ville et sont peu à peu remplacés par des animaux de métal.
Tous les livres, presque tous, doivent être brûlés dans le crématorium de livres sur la place de Castille. Dans les écoles, les cours de philosophie, littérature, latin, histoire de l'art et musique n'existent plus et les professeurs renvoyés.
Certains bâtiments sont en ruine et d'autres deviennent des banques qui font de la publicité pour des prêts hypothécaires.
Les églises appellent à la soumission à coups de cloche et prennent le pouvoir dans les écoles.
Les policiers anti-émeutes sont des hommes qui sont galvanisés par l'odeur du sang et de la peur. Leur intelligence ne leur permet rien d'autre que d'obéir à celui qui commande. Les anti-émeutes porte un casque afin que personne ne voie leurs yeux injectés de sang et leur bouche écumante.
Les monstres de la ville de Madrid savent renifler l'odeur de la peur et de la vulnérabilité, leur permettant ainsi de retrouver leurs proies.
Les riches, ceux qui tiennent le pouvoir et l'argent, ont constaté que la ville a changé ces dernières années mais cela ne les dérangent pas plus que ça. Ils continuent à dormir sous un toit, celui de leur maison et à vivre dans l'opulence. Lorsqu'ils circulent dans la ville, les trottoirs sont couverts de cartons, les bas-côtés et les fossés sont remplis de cadavres. Mais peu importe.
Parmi eux, l'on trouve les fonctionnaires, les ministres et le président de la ville siégeant dans le Cube, un bloc de béton qui n'a ni portes, ni fenêtres. Celui qui a le poste de dirigeant est le progrès même de la société et l’abomination du mensonge et de la corruption. Il se prend pour un dieu car il a tous les pouvoirs.
Igi W. Manchester avait travaillé cinq ans à la Faculté de Médecine dans le département de médecine biomoléculaire où il faisait des recherches sur les possibles applications de la technologie à l'amélioration du rendement humain. Il fuyait la source de toutes les disgrâces, son identité. Son nom aujourd'hui lui semble étranger et inconnu, comme s'il n'avait jamais été le sien. Mais peu importe d'avoir une identité si on peut la changer et devenir quelqu'un d'autre et peut-être même un homme puissant.
"Je suis la frontière" est un roman post-apocalyptique écrit par un auteur espagnol, David Llorente. Il dessine le portrait d'un lieu qui s'enfonce toujours plus dans le chaos et qui pourrait très bien refléter le monde de demain, si nous laissons les dérives d'aujourd'hui s'amplifier. Dans ce monde de demain, il n'y aura plus de distinction entre le bien et le mal car le bien n'existera plus. Ceux qui n'auront plus rien, sont déjà morts, enterrés d'abord par leur bout de carton avant de finir six pieds sous terre dans une fosse commune ou avaler par la mer où ils se seront jetés. Le monde sera régi par un dictateur qui sèmera le chaos et qui sera suivi par une horde de serviteurs hargneux. Dans ce monde de demain, tout sera sombre, il n'y aura plus de fleurs, plus d'animaux, plus de joie.
Dans "Je suis la frontière", David Llorente n'y va pas avec des pincettes et propose une vision des plus sombres de ce qui pourrait être le monde de demain à travers une écriture originale, un savant mélange entre polar, fantastique et même science-fiction. Il est difficile de définir si le protagoniste est celui qui est nommé au début Igi W. Manchester ou cette voix qui lui sert de guide. Cette voix est tellement présente que le lecteur a l'impression qu'elle lui adresse directement la parole. Cette voix se répète régulièrement, au point d'avoir l'impression d'écouter un discours de propagande. Dans "Je suis la frontière", nous y découvrons la dérive de Igi W. Manchester qui agit selon ce qui lui est dictée par cette voix. Le protagoniste paraît être un gentil garçon mais il se trouvera très rapidement dépassé par les évènements. Il fera face à de nombreux obstacles et dans une bonne partie du roman il sera traqué comme un gibier avant de devenir lui-même traqueur, manipulateur. Il connaîtra la peur, la désillusion, le doute, la faim et le froid, ... Mais également la folie. Tout au long du roman, nous découvrirons tout un panel de personnages et le profond abîme dans lequel sombrera toujours plus la ville. Ce roman nous démontre également jusqu'où la soif du pouvoir et le goût de tuer peuvent mener. Ce roman fait l'effet d'un véritable coup d'électrochoc à celui qui s'y plonge et surtout lisez-le jusqu'au bout car au moment où vous vous y attendrez le moins, l'histoire prend un virage à quatre-vingt-dix degrés.
"Je suis la frontière"i est un roman post-apocalyptique à découvrir pour mieux réfléchir à demain.
Né à Madrid en 1973, David Llorente vit actuellement à Prague, en République tchèque. Son premier roman, Te quiero porque me das de comer (Je t'aime parce que tu me donnes à manger), qui reno...