21 Juillet 2015
J'ai foi en ma lucidité, elle m'évite de tomber dans un romantisme de midinette et me laisser poisser par des utopies philanthropiques. Il faut aussi arrêter de se l'astiquer avec ça ! Qu'est-ce que la plupart connait de l'Inde ? Tous à mastiquer de conserve les mêmes lieux communs : le Taj Mahal, la plus grande démocratie du Monde, le yoga, la médecine ayurvédique, le Kâmâsutra, Auroville, le Rajasthan, les ghats de Bénarès, la soie, Bollywood, Gandhi, la Mère Teresa et bien évidement, la misère. C'est tout ce qu'ils ont à dire sur un pays dont les habitants, plus d'un milliard tout de même, parlent mille six cents langues et dialectes, honorent trente millions de dieux et qui pour survivre, ont développé un art incroyable du recyclage.
Goodbye Gandhi
De Mélanie Talcott
Editions "L'Ombre du Regard" - Date de parution : 6 juin 2015 - ISBN : 979-1090624085 - 242 pages - Prix éditeur : 13,80 € (en vente sur amazon, également disponible en e-book)
Pondichéry, ancienne colonie française, un petit coin de France dans la Baie du Bengale. Sa ville blanche, sa ville noire, ses nombreux sites remarquables. Pour autant, "Goodbye Gandhi" nous dépeint une ville beaucoup plus sombre - misère, trafic d'enfants, trafic sexuel, voyage sexuel, pot-de-vins, détournement d'argent et meurtres. Une Inde sans artifices, avec ses plaies suintantes et infectées, sa misère et ses enfants rachitiques dépenaillés avec de la morve au nez.
Un corps de femme a été trouvé couché cérémonieusement sur un lit de pétales de rose et d'immortelles au marché aux fleurs de Pondichéry. Il s'agit de Monique Duchemin, la Mère Teresa de Pondichéry, surnommée Amma Amrita. Elle avait quitté mari, enfants et la France il y a cinquante ans pour consacrer sa vie à l'humanitaire en créant l'association "Children from nowhere" pour les enfants orphelins. Une vie au service des démunis, mais très lucrative car au fin de sa vie, elle possédait un beau petit pécule et de belles propriétés en Inde et en Europe. Mais qu'est-il arrivé à Monique Duchemin ? Suicide par pendaison ? Impossible que le corps s'est trainé jusqu'au marché. Un meurtre ? Oui mais pour quelle raison. En tous les cas, pas pour la dépouiller de ses biens car son cadavre était encore orné de ses bijoux onéreux à sa découverte. Par qui alors ? Un indien peut-être, car lui seul pouvait présenter le cadavre de cette manière, linceul de fleurs, riz safrané et piécettes de monnaie.
Vijay Ramalingam, inspecteur de police à Pondichéry, qui a en horreur la corruption contrairement à ses collègues, est chargé de l'enquête. Léa Paoli, franco-indienne, est de retour à Pondichéry, la terre de ses ancêtres et terre de souvenirs. Mais elle n'est pas là en vacances, mais en tant que représente de la police scientifique française. Avec Vijay, ils devront élucider le meurtre de Monique Duchemin en enquêtant dans les profondeurs de Pondichéry et ses sordides secrets. Des secrets où trempent de nombreuses personnalités hautement placées et qui veulent que l'enquête soit rapidement étouffée. Mais Vijay et Léa se confronteront à un sujet plus délicat que la mort de cette femme.
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"Goodbye Gandhi" est vraiment un livre à lire et à découvrir sans tarder. C'est un excellent roman, qui nous plonge dans ce qui peut être de plus sordide, les crimes envers les enfants. Non pas pour s'en délecter ou que les autres crimes n'ont pas leur part d'horreur, mais pour nous prendre conscience de l'envers d'un décor, celui dont beaucoup de personnes veulent ignorer en Inde, la misère. Certaines organisations dites humanitaires pourraient cacher un business sordide "grâce" à cette misère, un pays où la corruption est légion, les intouchables qui représenteraient 20 % de la population en Inde du Sud et qui sont les plus démunies, les filles un fardeau pour la famille et souvent non désirées, des familles avec trop d'enfants, l'alcool, l'après-tsunami, ...
Mélanie Talcott, l'auteure, n'a pas la langue de bois, elle dit les choses, crues, directes, sans prendre des pincettes, tout en écrivant dans un très bon français riche en vocabulaire. Elle le dit d'emblée dans sa note au lecteur que "si un certain nombre de noms, évènements, faits divers et intrigues apparaissent dans ce livre et sont empruntés à la réalité, celui-ci reste néanmoins une fiction ...". On détecte très rapidement dans ce récit qu'elle est accoutumée à l'Inde et à Pondichéry, le livre comporte des descriptions très détaillées sur les habitudes, les coutumes, les traditions, la ville, les maux de l'Inde, ... Ses personnages indiens sont des copies conformes à la réalité. Par contre, oui elle peut certainement choquer ou révolter les associations humanitaires qui sont au cœur de son récit et dont est dressé un portrait assez sordide et elle ne s'arrête pas là. C'est justement ce franc-parler qui est intéressant. À ce sujet, "Goodbye Gandhi" m'a fait penser à une autre auteure, indienne, Kishwar Desai, qui dans ses romans n'a pas hésité elle aussi à parler du trafic d'enfants, des mères porteuses, les filles tuées à la naissance, les agressions sexuelles, ... Des sujets délicats mais il est important que des personnes osent parler des choses qui dérangent et de ces secrets de polichinelle.
Concernant la structure de "Goodbye Gandhi", c'est en fait un enchevêtrement de deux récits. Le premier, la découverte du corps et l'enquête. La seconde, une semaine environ avant la découverte du cours, où l'on y retrouve la captivité de Monique Duchemin, ses bourreaux et leurs raisons. Les deux récits s'accordent parfaitement. Au fil du récit, on découvre les personnages, leurs souvenirs surtout, des remords sans doute, des désirs aussi, ... La place est aussi donnée aux pensées des différents personnages rencontrés, et cela se révèle très intéressant notamment celles de cette femme qui voit la mort en face et qui se souvient de son parcours.
"Goodbye Gandhi" est un livre discret, qui n'est pas édité par une grande maison d'édition mais simplement et uniquement en vente sur Amazon. Pour autant, il mérite d'être connu, tout comme son auteur, car il est d'une très grande et très bonne qualité littéraire. Un livre que je recommande à tous surtout ceux qui veulent lire l'Inde de la plus brute qui soit. Un livre aussi noir que sa couverture et qui explose comme les pêtards et les feux d'artifices à Diwali.
Je n'ai rien vu du Taj Mahal, de l'incontournable, dit-on, Rajasthan ni de Jaipur la Rouge, ou du Kerala que l'on qualifie de Venise indienne. Je l'ai regretté parfois car les paysages forgent aussi la mentalité des hommes. Mais en Inde il en va autrement et, si l'on voulait souligner une quelconque différence ente ses populations, il faudrait plutôt opposer l'Inde des plaines interminables à celle des hautes montagnes, celle des villes à celle des campagnes, car pour le reste, il semble que la même mentalité placide, résignée et violente court d'un bout à l'autre de cet immense pays.
On peut dire ce que l'on veut de ce vaste continent, pensa-t-elle. On peut sonder sa mythologie, analyser ses grandeurs et ses décadences, mesurer ses sauts, ses faux bonds et ses reculs, le résumer à quelques clichés et figures de proue dont l’exégèse occidentale a fini par s’approprier la symbolique ou encore gamberger sur sa spiritualité ou la monétiser comme une vulgaire marchandise, rares sont ceux, du moins je le crois, qui peuvent percevoir dans son aveu olfactif, la plus complète nudité de l'Humain.
Ni crasse ni vermine. Les garçons sont coiffés à la va-comme-je-te-pousse, les filles ont les cheveux longs et nattés, sauf une qui les a quasi rasés. Ils ne vivent certainement pas à plein temps dans la rue. Pauvres, ils le sont sans aucun doute. Basses castes. Issus d'un tissu social défavorisé, comme de déclame le politiquement correct à la française. Vêtements défraîchis et dépareillés. Pour ce gringalet aux oreilles décollées et à la moustache naissante, ils sont carrément en lambeaux. ça doit être plus hard pour lui.
Elle se rappelle sans savoir pourquoi, avoir recopié il y a longtemps, façon Ben, sur un tableau noir une citation de Romain Rolland. "S’il est un lieu de la terre où aient place tous les rêves des vivants, depuis les premiers jours où l’homme commença les songes de l’existence – c’est l’Inde." Elle se voit encore y ajouter quelques années plus tard cette réflexion qu’elle avait lue ou entendue. "L’Inde ? On y reste un mois, on écrit un bouquin. Un an, on n’écrit plus que quelques articles. Au-delà, on n’écrit plus rien." Elle y avait ajouté : on s’y noie.
C'est quand même curieux, songea-t-elle. L'Inde, c'est crade, bruyant, étouffant, désespérant épuisant. Un chaos à ciel ouvert où l'ordre se la joue rigoriste dans l'invisibilité de la répression. Un pays où ni intime ni la pudeur ont leur place.
La fierté que je ressentais aux premiers hommages a disparu depuis bien des années, cogite-t-elle. Faire le bien, l'humanitaire, tout cet entraînement plié à la générosité, n'est tous compte faits rien d'autre que flanquer une prothèse à notre barbarie. Ce qui nous insupporte au plus intime de nous-mêmes se transmute en bonté fantasmée envers l'autre.
Les révélations de l'auteure sur son compte Facebook
Dans Goodbye Gandhi, la protagoniste "suicidée" présente des ressemblances avec La Mère dont la photo s'affiche pratiquement partout dans Pondichéry.
Mirra Alfassa, née le 21 février 1878 à Paris, laissa derrière elle un fils et deux maris (caractéristique partagée avec la protagoniste du roman, en grande partie basé sur des faits réels) pour s'installer définitivement en Inde en 1921. Rebaptisée "La Mère", on déclara qu'elle était en fait une déesse indienne et elle connut pendant 50 ans un pouvoir absolu jusqu'à sa mort à l'âge de 95 ans. "Avec Mirra Alfassa, je partagerai sans doute l’originalité de la mort. Elle empoisonnée, raconte-t-on, par des disciples idolâtres pressés de la déifier, et moi...." (p.144)
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Vijay, l'inspecteur dans Goodbye Gandhi s'appelle ainsi en hommage à l'acteur tamoul Vijay et a un physique similaire à celui de cet autre acteur, Shah Rukh Khan, né à Delhi.